Et maintenant, marchez!

Ce samedi 23 novembre était bien trop froid à mon goût. Rien à voir avec le dérèglement climatique et encore moins avec la tragique vacuité des conclusions de la conférence de Varsovie sur le climat. Peut-être le stress augmente-t-il la frilosité. Car je vis dorénavant dans la tension de la préparation de la manifestation du 1er décembre pour la révolution fiscale et contre la hausse de la TVA au premier janvier. L’enjeu me paraît si élevé ! Peut-on, pour une fois, marquer un point par la gauche face à ce gouvernement ? Ou bien sommes-nous condamnés à voir l’extrême droite et le courant qu’elle entraîne dans l’UMP, le Medef, une certaine presse, dominer la scène et avoir la main ? A la façon avec laquelle les « bonnets rouges » l’ont prise… Quelle réponse allons-nous recevoir de ce pays qui sait qu’il ne lui reste que la rue ? Inutile de nous cacher la difficulté que nous affrontons. Pour nous, le verrouillage institutionnel est pire que sous Sarkozy. Les députés socialistes qui dénonçaient autrefois la hausse de TVA sous Sarkozy l’aggravent aujourd’hui dans les taux intermédiaires. Mais ils votent comme un bloc le budget en recettes et en dépenses, qui inclue le cadeau de vingt milliards aux actionnaires des entreprises dont cette hausse de la Tva est le moyen. La « Gauche du PS » ? La quoi ? Puis-je oublier tout ce que cela implique et veut dire dans l’ordre économique et social ? Le forum de l’après-midi sur le « coût du capital » organisé par la commission économique du Parti de Gauche ramenait durement aux réalités les plus cruelles. Le panel des intervenants, totalement indépendant de notre parti et même du Front de gauche, en a administré un tableau atterrant. Voyez le récit qu’en font Guillaume Etievant et Nolwenn Neveu. Dommage que la salle soit limitée à l’accueil des deux cent personnes qui s’y sont trouvées.

Donc, les trois rendez-vous que j’avais ce samedi m’ont au moins réchauffé l’esprit. Le matin j’étais invité à la réunion qui a jeté les bases publiques de l’unification de plusieurs composantes du Front de gauche. Ce n’est pas un événement qui retiendra l’attention car il est d’apparence modeste. Mais je le crois de grande portée. Un certain cycle de dispersion dans l’autre gauche est peut-être en train de s’achever. C’est pour moi un très grand espoir. Car c’est notre devoir que de nous unir. Si nous voulons être une alternative crédible et durable à l’actuelle hégémonie institutionnelle du Parti Socialiste, nous devons aussi être capables de proposer aux Français un outil à la hauteur des tâches qu’il faut accomplir. Après le repas je voulais participer, sans ostentation, à la manifestation féministe au départ de Montparnasse. Le froid m’a suivi. Je voulais marcher dans les rangs des partisans de l’abolition de la prostitution et de la pénalisation des clients. Je sais combien le sujet est polémique. Et je ne doute pas qu’il n’y ait que de bonnes intentions en présence dans les divers points de vue qui s’expriment. En tous cas, à la suite du travail accompli par mes camarades, j’ai été convaincu par le raisonnement philosophique qui est à la base de la volonté d’éradiquer purement et simplement la prostitution. J’ai accepté l’enregistrement de mon point de vue en vidéo. J’y reviendrai bientôt par écrit. Ce ne sera pas la seule prise de risque de ce post qui va sur des terrains minés. Je dis aussi ce que je pense de l’accord avec l’Iran et je le fais en partant de ce que m’inspire le séjour de François Hollande au Moyen Orient.

Ce que nous avons déjà gagné

Le premier bilan politique de notre initiative pour le 1er décembre est facile à dresser. Souvenons-nous d’où nous partons. En fait, notre appel à marcher sur Bercy a permis de sortir de l’état de sidération dans lequel tant d’esprits avaient été plongés par l’opération « bonnets rouges », animée par le patronat le Medef et les identitaires. Après nous, l’un après l’autre, les grands syndicats du pays se sont dressés pour exiger, sous des appellations diverses, ce que Jean-Marc Ayrault appellera une « remise à plat du système fiscal », vingt-quatre heures après que j’ai utilisé cette expression dans l’émission « C politique » sur la Cinq. Comme cette émission a été un succès d’audience remarquée, je me dis que l’intérêt pour ce que j’y disais à propos de ce que nous appelons, nous, la « révolution fiscale », captait bien l’attention et sans doute la compréhension du très grand nombre. Que Jean-Marc Ayrault se soit senti obligé de faire cette annonce surprise d’une remise à plat, que tant d’organes de presse de référence et de révérence se soit sentis obligés de l’acclamer tout aussitôt, montre dans quelle nervosité sont les importants du pays. C’est un mystère par contre plus épais de comprendre pourquoi le chef de l’État est passé derrière son Premier ministre pour changer les dates, le contenu et les délais de ce projet. Ce qui achève de nous faire penser qu’il s’agit d’une pantalonnade de plus. Cependant, notre intérêt bien compris est d’agir comme si nous pensions qu’ils avaient réellement l’intention de faire quelque chose sur le sujet. Du coup, à l’objectif concret du refus de l’augmentation de la TVA le 1er janvier prochain, s’ajoute avec davantage de force la nécessité de peser sur le contenu de ladite « remise à plat ». Car j’ai bien noté que, tout aussitôt, le ministre Moscovici s’est senti obliger de rappeler que la préoccupation du gouvernement serait d’améliorer « la compétitivité des entreprises ». Chacun sait que, dans la langue de fonte des solfériniens, cela veut dire « tondre les moutons populaires pour tricoter des pull-overs aux actionnaires ». Nous voilà avertis !

Avez-vous vu avec quelle gourmandise les « commentateurs » habituels sont venus se réjouir de ce que « les syndicats – même la CGT – n‘appellent pas à la manifestation du 1er décembre » ? Aucun d’entre eux ne se soucie de remarquer que les confédérations syndicales n’ont jamais appelé à aucune de nos manifestations dans le passé. Aucun non plus ne notera que des unions syndicales locales, départementales, régionales, comme des fédérations de branche, – et surtout de la CGT – appellent cette fois-ci encore à manifester avec nous, comme cela se verra dans la rue le 1er décembre. Les mêmes commentateurs m’ont évidemment entrepris sur le fait que, puisque M. Ayrault convoquait « une remise à plat fiscale », à quoi bon notre manifestation ? La petite cerise constante sur le gâteau aura consisté à faire remarquer qu’Eva Joly ne participerait pas à la manifestation. C’est le contraire qui aurait été étonnant, dans la mesure où, si j’ai bien compris, elle est ce jour-là en congrès ailleurs. Bilan de toutes ces questions, qui sont en fait des affirmations déguisées : il ne servirait à rien de manifester puisque Ayrault nous aurait déjà donné satisfaction, que les syndicalistes n’appellent pas et que nous sommes seuls à mobiliser. Ce n’est pas fini. Il nous reste encore à subir les pages d’injures auxquelles nous avons eu droit la fois précédente avec le magazine du « Monde » et à la fin, bien sûr, le chiffrage de Manuel Valls, qui avait officiellement évalué le 5 Mai à 30 000 les participants, une heure après que la préfecture de police eut déclaré qu’elle ne faisait pas de chiffrage pour les manifestations politiques. Vous savez donc ce qui vous attend. Cela n’a aucune espèce d’importance. La seule chose qui compte c’est la réalité. Les puissants la connaissent. Eux savent évaluer un rapport de force. S’il est suffisant ce n’est pas Jean-Marc Ayrault qui fera la « remise à plat ». Là encore nous voici prévenu.

La manifestation du 1er décembre, c’est d’abord une action humaine. Bien sûr il y a le moment de la décision, celui de l’annonce et la préparation de ceux-ci. Si cette phase initiale est si cruciale c’est parce qu’ensuite des milliers de gens vont y consacrer leur énergie. Nous n’aurons eu que trois semaines de préparation. C’est une de moins que pour la manifestation du 5 mai et deux de moins que pour celle contre le traité européen ! Pour autant, d’un rendez-vous à l’autre, les femmes et les hommes qui ont fait le choix de s’engager au Front de Gauche ont engrangé un savoir-faire, des réflexes des solidarités qui se sont sans cesse renforcés. Si le Front de Gauche n’est pas un parti au sens traditionnel du terme pour ce qui est des congrès et des investitures, il l’est pour ce qui concerne l’orientation générale et l’action concrète commune. Une fois l’appel lancé, après une première vague sur les réseaux sociaux, une fois le feu vert donné l’une après l’autre par les composantes du Front de Gauche, la mobilisation s’est organisée de tous côtés avec des gestes d’organisation chargés d’expérience. Au seul quartier général du Parti de Gauche, on recense plus de quarante organisations départementales de départ de cars, soixante-dix organisations départementales de covoiturage. Sitôt imprimés, des centaines de milliers de tracts sont partis dans les boîtes aux lettres et des dizaines de milliers d’affiches ont été collées. Je reste ébahi de la rapidité et de la maîtrise avec lesquels de tous côtés on aura agi. Je vois aussi, en discutant avec l’une ou l’autre, celui-ci ou celle-là, que partout tout est organisé pour continuer à mobiliser jusqu’au dernier moment. Du coup, ça ne me fait que plus de peine de savoir que de si nombreux camarades et amis ne pourront faire le déplacement parce que cela coûte trop cher. Et de savoir aussi quels sacrifices consentent tant des nôtres, qu’il s’agisse d’argent ou bien de temps.

Je mentionne tout cela pour que chacun se souvienne bien que ce qui a été acquis dans cette nouvelle occasion, qui enrichira d’une façon considérable notre travail commun d’un savoir-faire et d’une capacité d’action spontanée, qui s’affirment et se renforcent avec le temps. À mes yeux, les frontières d’organisation ne sont rien. Ou peu de choses. Mon attention est avant tout retenue par tout ce qui est d’ores et déjà en commun. Cette capacité d’action commune spontanée en fait partie, bien davantage que de nombreux autres aspects. Il s’agit de construire un peuple rebelle, et pas seulement une organisation aguerrie. Oh, comme je voudrais que dans les commentaires on tienne compte davantage de ces milliers d’anonymes qui sont aujourd’hui la première et la plus grande force politique militants de notre pays, loin devant toutes les autres, même quand ces dernières disposent de relais institutionnels ou d’adhésions d’opinion supérieurs au nôtre, pour l’instant. C’est dans cette marmite que bouillonne l’avenir.

Le premier décembre, marchez ou taisez-vous ! Je devine bien ce qu’un tel slogan provoquerait d’agacement. Mais l’unanimité consternante du vote des députés socialistes sur le budget de l’État me pousserait volontiers à cette injonction. Au moins y a-t-il deux abstentions dans le groupe Europe Ecologie-Les Verts et même un vote contre, celui de Noël Mamère ! Au PS, tous les groupes, sous-groupes et autres vibrionnant des tribunes libres et des confidences de couloirs, exaltés des universités d’été « plus populaire que moi tu meurs », ont disparu sous la table au moment où il fallait agir. Nous pourrions mourir de cela. De ce nombre de gens qui font des phrases, des analyses plus ou moins brillantes, des propositions fulgurantes, mais qui sont incapables de passer à l’acte, inapte à construire où que ce soit un rapport de force. À proportion de leur inaction, le déséquilibre s’aggrave. Comme ils ne font rien, les sergents chefs solfériniens réjouis vont au rapport chez les colonels, qui transmettent aux généraux: « R.A.S chef ! ». Alors le chef est content, il sourit suavement, il sait que ses agents de liaison ont bien travaillé. Les places sur les listes municipales, aux européennes, aux futures cantonales, aux futures régionales, tout cela n’est-ce pas le miel le plus délicieux et le plus efficace pour aider à la réflexion sur le budget de l’État ? Peu importe à tous ces confits en pot la conséquence politique désastreuse de leur refus de combattre. Les forces qu’ils paralysent, l’air qu’ils refusent de donner à la contestation, tout cela se paie comptant sur le terrain. Sur terre règne le rapport de force. L’un recule l’autre avance. L’épisode des « bonnets rouges » en a fait une ample démonstration.

« Ensemble », un beau début

Plusieurs composantes du Front de Gauche ont décidé ce samedi de se rassembler en une formation unique nommée « Ensemble ». Je sais bien que le processus ne fait que commencer, mais il vient de franchir une étape décisive. Les trois cent présents dans la salle comble de Saint-Denis n’étaient pas seuls concernés. Je nous sens tous impliqués, et peut-être même mis au défi, au sein du Front de Gauche, par cet événement. La création de ce nouveau mouvement marque peut-être le début d’une période où s’achèverait l’émiettement de l’autre gauche. Je sais bien que cet émiettement n’a pas été entièrement négatif. Je ne reprocherai pas aux courants unitaires du NPA de l’avoir quitté, même si ce fut en trois vagues. Parfois, il a bien fallu commencer par se séparer des uns pour se retrouver avec les autres. La dialectique de la rupture et du rassemblement d’une part, de l’unité et de l’indépendance d’autre part, sont au cœur de la démarche du Front de Gauche. Il en est ainsi depuis sa création en 2008 entre le Parti communiste et le Parti de Gauche, tout nouvellement créé, bientôt rejoints par la Gauche Unitaire. Et c’est bien grâce à ce noyau initial et parce qu’il existait qu’on on a pu ensuite regrouper tous ceux qui voulaient partager ce choix de l’unité et de l’indépendance. Utile occasion de rappeler que le Front de Gauche est une stratégie et non une étiquette. Personne n’est jamais venu au Front de Gauche pour négocier des places avec les socialistes, mais au contraire pour les leur disputer. A commencer par moi, qui étais sénateur socialiste et qui suis allé arracher un siège aux européennes dans le grand sud-ouest avec toute la fougue des camarades qui savaient que le succès ou l’échec dessinerait la suite du projet. J’aurais pu rester dans le confort de ma situation. Elle était reconductible par accord avec le PS comme l’a prouvé l’accord conclu par le PCF à Paris aux sénatoriales suivantes. C’est le conseil que je donne à ceux qui me succéderont : si vous voulez être libres, ne devez jamais rien personnellement à ceux avec qui vous êtes en compétition.

Dans cet état d’esprit, à mes yeux, le mouvement qui conduit vers une organisation comme « Ensemble », ne fait que commencer. Tous les partisans de l’indépendance politique à l’égard du PS doivent pouvoir se retrouver pour ne plus avoir à craindre à chaque étape ces retournements d’alliance de dernière minute, si dur à surmonter, comme celui que nous venons de connaître à Paris ou comme en plein milieu de campagne des élections régionales en Pays de Loire en 2010. Je pense que les innombrables communistes qui veulent maintenir fermement le cap de cette autonomie trouveront un bon point d’appui avec ce regroupement, comme c’est déjà le cas pour nous. Car évidemment il n’y a pas d’avenir pour le Front de Gauche sans ces communistes et leur parti. Ils sont nos camarades les plus dévoués au combat commun. C’est pourquoi je ne cesse de protester contre les paroles aigres et globalisantes que je lis trop souvent et jusque sur ce blog. Je le rappelle : les partisans de l’alliance avec le PS sont une minorité au PC, et c’est servir la soupe aux solfériniens que de refuser de l’admettre.

La méthode des petits pas qui anime « Ensemble » devrait donc être bénéfique pour nous tous. Plus ce regroupement parviendra à formaliser une cohérence doctrinale, pour peu qu’elle reste ouverte, mieux il sera disponible pour de nouveaux regroupements. Je veux dire par là que le Parti de Gauche est très directement intéressé. Le parti fusionné que nous voulions faire avec le parti communiste et dont il n’a pas voulu, ce qui est bien son droit, nous pouvons l’imaginer avec « Ensemble ». Bien sur, ce sera le moment venu et sous la forme que les circonstances vont dégager au fur et à mesure de l’action commune du Front de Gauche. L’important n’est pas de le faire dans l’urgence mais de ne pas se l’interdire et d’y travailler.

Global ou fatal

Un accord est signé avec l’Iran. Pour ma part, je n’ai aucune confiance dans ce que disent où signent les dictateurs religieux de l’Iran. L’idée d’un accord à petits pas avec de tels gens me parait être une vue de l’esprit. Un accord est global, ou bien ce n’est pas un accord mais un entracte qui peut devenir fatal. Ce que valent de tels entractes est connu depuis longtemps. Ceux qui se croient malins parce qu’ils signent « jusqu’ici mais pas plus loin » oublient la vieille leçon de l’Histoire : qui accepte « jusqu’ici » doit savoir que c’est déjà « plus loin » qui commence. Mais, à l’heure où j’écris, je ne connais pas le contenu de l’accord, et peut-être ne le connaîtra-t-on jamais. En même temps je ne crois, ni ne souhaite, une action de force contre l’Iran. Cela devra suffire à me valoir deux torrents de haines pavloviennes additionnées. Que m’importe ! J’ai eu le cran de dire à mes amis vénézuéliens que je n’étais pas d’accord avec leur relation avec l’Iran. Je crois qu’on répond à un raisonnement par d’autres raisonnements. Et j’admets pouvoir me tromper, au contraire de maints de mes détracteurs qui sont, eux, certains d’avoir toujours, tout le temps, raison ; au passé, au présent et au futur. Je m’empresse de dire que ce que j’écris sur le sujet m’est personnel, même si je sais très bien qu’un bon nombre de mes amis au Parti de Gauche pensent comme moi. On me dira que ce que je souhaite où crois n’a aucune incidence sur ce qui se passe. C’est vrai. Mais je crois important de réfléchir aussi longtemps que possible face aux torrents de notre temps avant qu’ils imposent des trajectoires que l’on pourrait éviter.

J’expose donc mon point de vue dans l’intention de le faire connaitre et de montrer, à ceux que cela intéresse, que l’on peut aborder un problème posé par des angles différents. Je reconnais sans mal que mon point de vue est d’abord dicté par ce que je crois être les intérêts de mon pays : la France. Le mien. Car je n’ai pour ma part qu’un seul passeport. Pour me faire comprendre et ne pas sortir du cadre du réel, je pars du récent voyage de François Hollande au Moyen-Orient. Je le fais puisqu’il est évident que cette signature d’accord avec l’Iran est un nouveau ridicule pour sa diplomatie faite de coups de gueule sans conséquence.

En effet, il ne faut pas ranger trop vite aux oubliettes l’épisode de la visite de François Hollande en Israël et Palestine. Je crois que le président français a manqué une belle occasion d’être utile au Moyen-Orient. Il n’était pas obligé de choisir entre les vociférations des iraniens et les glapissements du Premier ministre Israélien. Et plutôt que d’aller rejouer à Jérusalem le rôle défraîchi de la partition néo conservatrice américaine, il aurait mieux fait de saisir aux cheveux l’opportunité que présente la conjonction de la crise sur le nucléaire iranien et l’épisode du désarmement syrien. Une fois l’accord conclu avec les iraniens, est-il trop tard ? Disons que le cas semble plus tortueux. Mais si d’aventure une nouvelle opportunité de discussion se présentait, je pose ici un scénario. C’est celui d’une discussion qui partirait de la discussion sur la sécurité, qui soit vraiment régionale.

Par ce bout-là, sans provocation, en partant des seules exigences que l’actualité a mises à l’ordre du jour il y avait de quoi aller au cœur du problème et ouvrir des solutions concrètes sur le cœur réel du problème : le conflit israélo palestinien. De la formule désormais rituelle en faveur de « deux Etats aux frontières sûres et reconnues », plutôt que de commencer par « les deux Etats » sur lesquels tout a déjà été dit et à propos desquelles ce qui est en cours ne peut avancer que de l’intérieur, pourquoi ne pas partir de l’autre terme, c’est-à-dire de la sécurité ? Les frontières ne sont sures que d’un point de vue régional. La sécurité de l’Etat d’Israël, comme celle de ses voisins proches ou lointains, ne se joue pas seulement le long de leurs frontières physiques respectives. C’est une réalité beaucoup plus globale. A un bout, on trouve les armes de destruction massive et, à l’autre bout, des éléments plus quotidiens mais qui n’en sont pas moins vitaux, comme l’accès à l’eau ou la possibilité de se déplacer librement. Il est évident que le plus délicat est ce qui est le plus brûlant et le plus immédiat : les armes de destruction massive. Israël est une puissance nucléaire. Pas ses voisins.

Depuis le point de départ il s’agit d’une logique d’escalade. D’abord Israël, entourée par une masse considérable d’adversaires qui s’étaient alors juré publiquement de la rayer de la carte, pense compenser le danger permanent sur le mode sur lequel la France l’a fait de son côté. La contribution des Français à cet armement n’est plus un secret. Il s’agissait de la dissuasion nucléaire contre une attaque qui serait analysée comme mortelle. Mais, en toute hypothèse, quel que soit l’adversaire régional, sa proximité ne laisse aucun doute sur le fait que la riposte nucléaire aurait des conséquences directes aussi sur le tireur nucléaire. Dans ce cas, donc, l’argument nucléaire est à la fois terrible et dérisoire. Comme dans le cas de la France, c’est un « argument posthume ». Pourtant, les voisins ont entrepris de compenser « l’avantage stratégique » ainsi pris par Israël. C’est la raison pour laquelle la Syrie et l’Égypte n’ont pas signé les conventions de destruction des armes chimiques ni bactériologiques. Réplique qui fait qu’à son tour Israël en a fait autant, quoi que dans cet ordre de combat elle n’en aurait aucun besoin compte tenu de l’argument de dissuasion dont elle dispose.

On peut situer les tentations iraniennes d’armement nucléaire dans ce même registre d’escalade régionale. Mais on ajoutera dans ce cas les raisons que l’Iran peut avoir aussi en regardant du côté de ses frontières orientales. Après tout, le Pakistan, autre puissances nucléaire, n’est pas si loin ! Il faut s’en souvenir ! Car nous, les Européens, nous croyons toujours que l’essentiel du monde se joue autour de la très proche Méditerranée et que tous les riverains ne regardent que de ce côté. D’instinct, nous y rattachons nos légendes les plus anciennes. Et même dans ce cas, nous ignorons à quel point la Méditerranée est communicante. C’est à peine si nous tenons compte du fait que la mer Noire en est un prolongement. La légende de la Toison d’or ne se joue pas sur des côtes grecques mais en Géorgie, là où est né le vin, trouvaille que nous attribuerions spontanément à bien d’autres plutôt qu’à ceux qui en furent les inventeurs, tant ils nous paraissent loin de notre monde. Je reviens au cœur de mon propos.

À partir de la question syrienne, tout le fil de la sécurité collective de la région peut être repris. Le désarmement chimique de Damas est l’occasion de reprendre par un bout concret toute la question du désarmement régional. Le chimique, le bactériologique. Logiquement y serait inclut le désarmement nucléaire. Mais il le serait dans un ordre d’arrangement sans vainqueur ni vaincu.

On m’objecte parfois que, puisque les Français ont l’arme nucléaire, on ne voit pas au nom de quoi ils feraient des leçons aux autres. Pour ma part, je pense le contraire. Dans la pure logique de la dissuasion nucléaire, l’intérêt d’un pays comme le nôtre est qu’aucun combat nucléaire ne soit jamais à l’ordre du jour. Ni aucune guerre menaçant notre territoire. Depuis cinquante ans, les Français sont arc-boutés sur cette idée que la moindre menace, quelle qu’en soit la nature, recevrait une riposte majeure. Telle est la logique de la dissuasion nucléaire pour empêcher la guerre. Je le rappelle : au bout du compte l’intention est bien d’empêcher qu’aucun conflit d’aucune sorte n’ait lieu dont notre territoire serait l’enjeu. Une première contribution simple à cet objectif est d’empêcher les autres d’avoir des armes nucléaires. Car sinon, le rapport de force ne serait plus du tout le même. Le sens de la dissuasion ne serait plus le même. À cet argument purement « français », en quelque sorte, s’en ajoutent d’autres de plus large portée.

En quoi la dissémination nucléaire améliore-t-elle si peu que ce soit la situation et les chances de la paix pour quelque protagoniste que ce soit sur la scène mondiale actuelle ? Comment peut-on être à la fois pour le désarmement nucléaire et pour l’indifférence à propos de sa dissémination ? Pour nous, la France, le désarmement nucléaire est une priorité. Bien sûr, il faut commencer par ceux qui en sont le plus largement pourvu d’un côté. Et de l’autre il faut empêcher de nouveaux Etats de s’équiper. Nous devons donc être absolument et radicalement hostiles à toute forme de dissémination. Dans notre doctrine, ce n’est pas un objectif qui s’adresse en particulier à Israël ou à l’Iran, mais à tout le monde en général et partout sur la planète ! C’est pourquoi, lorsque nous nous prononçons pour le désarmement nucléaire de toute la région moyen-orientale et que nous saisissons toutes les occasions d’en faire avancer la réalité, nous servons d’abord notre propre cause la plus directe. Sans perdre de vue un seul jour qu’une guerre nucléaire en méditerranée ne sera jamais une guerre lointaine, faut-il le préciser, surtout compte tenu du sens dans lequel tourne la terre et du cheminement des nuages…

Ce point de vue concret donne une feuille de route bien plus compréhensible que les gesticulations devant l’Iran. Bien sûr, la nature du régime iranien en fait un adversaire par principe du monde républicain puisqu’il s’agit d’un Etat théocratique, c’est à dire fasciste par essence. Ses violences barbares contre la gauche politique et syndicale iranienne le signalent comme un ennemi pour notre camp. Mais s’il s’agit de relations internationales, le réalisme consiste à partir du point de vue de nos intérêts. Il faut donc regarder l’Iran en le considérant dans sa permanence et sous l’angle de ce qu’elle est capable d’accepter de négocier. Le régime des sanctions a prouvé son efficacité. Mais quand bien même aurions-nous le dernier mot sur ce front, qu’est-ce que cela change du point de vue global régional ? Rien. L’insécurité y serait toujours et les armes de destructions massives égyptiennes, israéliennes et autres y seraient toujours. Tout le monde sur place le sait. Raison donc pour laquelle nul ne peut avoir aujourd’hui le dernier mot nulle part et avec personne. Et par conséquent, le dossier palestinien reste encalminé jusqu’aux essieux. Sur ce point la paralysie n’est sûrement pas une affaire de tracé des frontières, même s’il est évident que cela compte énormément. La question est entièrement liée à la sécurité globale de chacun des protagonistes dans la région. On y revient.

Une nouvelle fois, je pense que la Syrie est un bon point de départ pour un règlement général, ou au minimum pour une discussion globale sur la sécurité de la région. De nombreuses questions sont en jeu. Mais une, parmi elle, est très directement liée à ce que nous évoquons à propos de sécurité globale. Qui a envie de voir à Damas un régime de fous furieux, armés par l’Arabie Saoudite et divers illuminés, prendre pied sur le plateau du Golan pourtant légitimement syrien ? L’exemple des exploits libyens ne suffit-il pas à comprendre ce que valent les méthodes d’exportation de la démocratie par les bombardements et les bandes armées de guerre civile ? Je crois que mon propos est assez présenté. Si le but est de faire avancer la paix, François Hollande n’a rien fait d’utile en prenant la pause face à l’Iran depuis Jérusalem. Et j’attends d’être convaincu par l’accord qui vient d’être conclu avec l’Iran. Seulement parce qu’on ne peut prendre une nouvelle direction dans la zone sans globaliser les solutions et sans commencer par le plus difficile : la sécurité militaire globale qui ne peut décidément pas se découper en tranche. En géopolitique comme en géographie, les erreurs d’échelle se paient cher.

Jean-Luc Mélenchon

Source: http://www.jean-luc-melenchon.fr/2013/11/25/et-maintenant-marchez/#more-18696

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